L’actualité en France entre les deux tours de l’élection présidentielle de 2022 me fait replonger dans un précédent article « Tchador ou Hijab, femme chocolat et homme mouche ! ».
J’évite de porter le voile en Iran, je le porterais si je devais vivre dans la France de Marine Le Pen !
Les propos de Madame Le Pen sur le voile et ce qu’elle dissimule sous le voile m’ont propulsée dans l’Iran de la fin des années cinquante. Encore enfant, je me demandais pourquoi les femmes de la famille, qui n’appréciaient et ne portaient pas le voile, critiquaient tantôt Reza Shah tantôt son fils. L’un pour l’avoir interdit par décret en 1936 et l’autre pour avoir abrogé cette loi en 1941.
Ces dames déploraient la chasse aux « sorcières voilées » imputée à Reza Shah tout autant que la faiblesse de son fils, trop timoré face au clergé. Mais in fine, concluaient-elles, une loi imposée par la force est contre-productive quand elle va à l’encontre d’une croyance ancrée, supposée divine et devient, de fait, illégale.
En 1979, l’ayatollah Khomeyni impose le voile obligatoire, y compris aux écolières de sept ans, avec plus de brutalité que Reza Shah ne l’avait fait pour l’arracher de la tête de leurs grands-mères. Dès lors, la République islamique n’a reculé devant rien pour entchadorer les Iraniennes. Peine perdue, malgré les violences et les embastillements. Les « martyres anti-tchador » sont aujourd’hui célébrées par la jeunesse iranienne. Moralité, s’il devait y en avoir une : la réaction face aux diktats brutaux est forcément violente et les mêmes causes produisent les mêmes effets.
Une loi ressentie comme injuste – qu’elle soit progressiste ou rétrograde – est tout simplement rejetée par l’émotionnel qui musèle le rationnel.
Toute action humaine – individuelle ou collective – se base sur un discours et des récits censés la valider. C’est le récit qui octroie la notion de justesse à l’action menée, et non l’inverse.
Dieu n’aurait pas de sexe et ne saurait être genré – pour parler le langage à la mode — cependant les récits du monothéisme élaborés par des hommes – prophètes en tête – ne se conjuguent, hélas, qu’au masculin. Privées de références féminines et d’exégètes féministes, c’est bien malgré elles que les musulmanes respectent les règles patriarcales, supposées divines. Du Moyen Orient au Maghreb, de l’Asie en Europe, le statut de la musulmane « pose problème » en dépit de la diversité culturelle et des systèmes politiques.
Le débat sur le voile qui défigure l’Iran et préoccupe la France — pour ne parler que de ces deux pays qui me sont chers — frise l’absurde malgré l’insignifiance du sujet. Un bout de tissu —carré coloré ou drapé noir — qui couvre la touffe de cheveux ou le corps féminin enflamme les imaginaires et attise les hantises. À Téhéran, on vocifère « invasion culturelle occidentale et méfait satanique ». À Paris, on martèle « radicalisation et fascisme religieux » en stigmatisant la religion de millions de musulmans français. La voix de ce « on » qui est le plus souvent, sinon exclusivement masculine, est aussi celle de la candidate Madame Le Pen.
Pour les musulmanes à travers le monde, le port du voile ne se discute pas plus que ne se pose le problème du choix. Précepte coranique exigerait. Pas tout à fait exacte mais laissons ce point de côté et parlons des femmes, notamment des jeunes filles, en Iran comme en France, pour lesquelles le port du voile serait un « choix » délibéré, médité, réfléchi, qui dépasserait prescription religieuse, tradition, coutume et loi. Celles imposées en Iran par la religion de l’état comme celles conformes aux principes de la laïcité en France.
Pudeur, modestie, pureté, associées au voile, sont les mots clefs de l’argumentation de la grande majorité de ces jeunes filles. Évoquez les tabous liés à la sexualité féminine, les mouvements de libération de la femme ou la liberté acquise de disposer de son corps, elles rétorquent aussitôt que le voile leur permet précisément de se réapproprier leur féminité, de s’affirmer, d’être libres !
Obéissance, adoration, rempart, sont d’autres traits d’union liant le voile à Dieu, au spirituel et à l’au-delà ! Voile-rempart, voile agissant comme un acte d’adoration, voile comme moyen de rapprochement avec le Tout Puissant ! Les haïkus pseudo-mystiques de ces jeunes filles peuvent faire sourire mais ils exaspèrent quand on vit en Iran où je refuse de porter le voile imposé par les ayatollahs, prête à tenir tête aux miliciennes des mœurs et à en payer le prix.
Les jeunes filles d’origine africaine ou maghrébine qui font le choix du voile en France refuseraient à leur tour la dilution ou l’intégration honteuse qui baisse la tête et rase les murs. Musulmanes voilées, françaises et sans complexes, nous disent-elles ! Affirment-elles ainsi leur identité ou expriment-elles les ressentiments d’un bon nombre de nos compatriotes, pas exclusivement musulmans, traités en citoyens de seconde zone ?
Et que fait l’extrême-droite, sinon exploiter avec un cynisme consommé le racisme wasp anti-arabe ou anti-nègre en « l’islamisant » ? Adepte de comparaison n’est pas raison, j’ajouterais néanmoins que le racisme anti-arabe, culturel et cultuel, d’une frange non négligeable de la population iranienne, ayatollahs en tête, a des points de convergence avec le racisme de l’extrême-droite française !
Pour revenir au voile, la révolution des Iraniennes, croyantes et pratiquantes y compris, qui refusent de porter le voile, se fait précisément au nom de la foi en Dieu. C’est en respectant celles qui le portent au nom des préceptes de la charia instaurée par des hommes dits de Dieu, qu’elles éclairent en dialoguant.
La Providence omnisciente n’a que faire des problèmes capillaires de ses créatures affirment les croyantes refusant le voile et d’ajouter : le Coran stipule que foi et savoir, foi et pensée, foi et réflexion sont indissociables.
N’est-ce pas sous le tchador que les plus miséreuses des Iraniennes cachent leur honte quand la prostitution devient leur seul « choix » de survie ? C’est l’éducation, le savoir, l’emploi qui protègent la femme en lui garantissant son indépendance. Non, ce n’est pas le hijab, qui à l’instar d’une coquille, protègerait la femme comparée à une perle dans la littérature propagandiste des islamistes.
Un bout de tissu nommé voile n’est ni un insigne de spiritualité ni un étendard de guerre. Dissimuler la chevelure ne rend pas plus spirituel que se raser la tête ne mène au Nirvana. Porter chapeau ou voile ne métamorphose pas une femme en caricature d’Al Capone ou de Ben Laden.
Se dresser contre toutes les discriminations – racisme, xénophobie, misogynie et machisme – sans se voiler la face, c’est ne pas se tromper de combat. Ainsi, porter le voile en France deviendrait alors un acte de résistance si jamais Madame Le Pen l’interdisait en devenant Présidente.
F.H.
(1) Scène vécue à Téhéran.
« Le foulard se porte sur la tête et non autour du cou ! » J’entends sans obtempérer. Qu’elles effectuent leur travail et moi mon devoir d’aînesse consistant à les éclairer. Et de discuter tchador, Coran ou Prophète dans l’agora de la rue persane où une milicienne fort jolie me conseille un jour de porter le tchador chez moi et de constater, instantanément, l’apaisement qu’il procure ! Pourquoi ses supérieurs galonnés ou en turbannés ne troqueraient-ils pas képi et turban contre la tchador thérapie ? Réponse spontanée qui fait rire les curieux agglutinés autour de nous et me coûte une contravention salée !
« Tchador ou Hijab, femme chocolat et homme mouche »
… Cette jeune fille de 15 ans, interviewée ci-dessous, témoigne d’un bon sens dont il serait bon de s’inspirer
Traduction sous titrage : DR