Alarmes infinies d’un homme : Iranien et juif.

À qui profite la haine entre frères sémites, juifs et arabes ?

Selon le chef de la diplomatie israélienne, Israël Katz, l’État hébreu serait prêt pour la guerre totale contre le Hezbollah. Guerre qui affecterait forcément le Liban. Tsahal aurait approuvé le plan soutenu par le Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou.

Depuis le 7 octobre 2023 et après la première attaque directe de la République Islamique contre Israël (13 et 14 avril 2024), les Iraniens et notamment la communauté juive de l’Iran craignent l’embrasement de la région. « Depuis la création d’Israël, Tsahal a livré sept batailles avec ses voisins. Si la huitième devait être contre l’Iran, autant craindre la troisième guerre mondiale », nous confie un proche d’un ancien représentant de la communauté juive au Majless, le parlement islamique d’Iran.

La guerre froide régit les relations israélo-iraniennes depuis la révolution de 1979. À présent les ultras des deux camps n’écartent plus la possibilité d’une confrontation de grande ampleur. « Gaza, Liban, Iran ! Avec ou sans Trump, le risque est réel ! » conclut notre compatriote Juif iranien. Un rapide historique s’impose.

1980, guerre Iran-Irak, l’ayatollah Khomeiny décrète que la libération de Jérusalem passera par Karbala, Ville sainte des Chiites située en Irak. Résultat de ce diktat : huit ans de boucherie désastreuse pour les belligérants.

1997, au début du mandat du président réformateur Mohammad Khatami, les Iraniens, juifs en tête, espèrent un réchauffement des relations avec l’État hébreu. D’allié indéfectible sous le Shah, Israël est devenu pour le Père de la révolution Rouhollah Khomeini et son successeur l’ayatollah Ali Khamenei « le cancer de la région ». Depuis, la guerre froide n’a jamais cessé de s’intensifier.

Fin 2000, toujours la présidence de Khatami, treize juifs iraniens, boucs émissaires du pouvoir judiciaire et des services secrets, sont accusés d’espionnage pour le compte d’Israël et condamnés. Échappant in extremis à la peine capitale, ils écopent de longues peines d’emprisonnement. Ces arrestations donnent le coup de grâce à l’ouverture prônée par un président réformateur déjà en perte de popularité.

En avril 2005, Khatami rencontre pourtant le président israélien, Moshe Katsav, en marge des obsèques du Pape Jean Paul II au Vatican. Les ultras islamistes exigent la tête du traître ! Initiative personnelle pour calmer les tensions selon ses proches. Lui pour sa part déclare avoir voulu saluer un compatriote (Mr Katzav est originaire de Yazd, comme lui) ! Exit Khatami et sa modération !

Août 2005, les tensions s’exacerbent sous Ahmadinejad dès le lendemain de son arrivée au pouvoir. Désigné par le Guide Khamenei, le populiste illuminé promet aux musulmans du monde « de réaliser le vœu de l’Ayatollah Khomeini en anéantissant Israël avec l’aide de Dieu et du douzième Imam ».

Au mois de novembre de la même année, le Premier ministre israélien Yitzhak Rabin est assassiné par Yigal Amir, terroriste ultranationaliste, farouchement opposé à la paix et à la signature des accords d’Oslo entre Israël et la Palestine.

Ce meurtre horrifie la société civile iranienne, notamment les juifs. Rabin, homme de paix, représentait l’espoir pour la région.

Lors d’une commémoration privée à sa mémoire, une grande figure de la communauté juive d’Iran a des mots très durs envers la politique américaine et ses politiciens (démocrates comme républicains), dont le sénateur Joe Biden, sioniste inconditionnel. « Il a ouvert la boîte de Pandore en votant en 1995 la résolution du Congrès appelant au transfert de l’ambassade des États-Unis de Tel-Aviv à Jérusalem. Cette initiative a affaibli le processus de paix. Cet abominable meurtre l’a définitivement enterré ! »

Incroyable mais vrai : dans un documentaire daté de 1997, The road to Rabin Square, le journaliste Mikael Karpin revient sur la chronique d’un assassinat programmé. Dès l’automne 1995, un lobby d’extrémistes américains fortunés œuvre pour le rapprochement de la droite parlementaire et de l’extrême droite israéliennes. Aussitôt après, une campagne « d’incitation au meurtre » (dixit Karpin) est lancée par des colons fanatiques adeptes du rabbin Menahim Kahana, connu pour ses thèses anti-arabes. Aux cris de « Rabin à mort ! Rabin traître ! », les manifestants brûlent dans les rues de Jérusalem des effigies du Premier ministre coiffé du keffieh palestinien ou affublé d’un uniforme nazi. Karpin démontre que cette clique, qui a osé le montage du visage de Rabin sur un portrait d’Adolf Eichmann, mène ensuite la campagne victorieuse de Netanyahou.

En Iran, Ahmadinejad et ses suppôts, qui éliminent leurs ennemis intérieurs sans prendre de gants, sont ravis. L’assassin de Rabin est leur héros à l’instar de Khaled Eslamboli, le meurtrier de Anouar El Sadate.

Grande Synagogue

Décembre 2006, le président Ahmadinejad organise sa Conférence internationale sur la Shoah. Il reçoit les rabbins extrémistes et antisionistes de la secte Neturei Karta. Entre autres invités d’honneur, les révisionnistes Robert Faurisson, universitaire français, et David Duke, adepte du Ku Klux Klan. Les uns contestent l’Holocauste, « un mythe », les autres « la légitimité de l’État d’Israël ».
Cette mascarade est suivie d’un concours international de caricatures antisémites. Les juifs d’Iran sont scandalisés. Haroun Yashayaie, alors président du Comité juif de Téhéran, adresse une lettre officielle à Ahmadinejad. D’une plume acerbe, il dénonce les positions révisionnistes du Président. Sa lettre rendue publique, il adresse aussitôt une lettre ouverte à Netanyahou.

Il y affirme que la discrimination, la répression et la colonisation illégale attisent l’antisémitisme dans son sens étymologique. À qui profite la haine entre frères sémites, juifs et arabes ? Certainement pas aux Aryens iraniens, pense tout haut celui qu’on surnomme la conscience juive de l’Iran.

Dès juillet 2007, le gouvernement israélien intensifie sa politique d’émigration de juifs iraniens vers Israël. Malgré des compensations financières allant de 5 000 à 30 000 livres sterling – trois à quatre fois le revenu annuel moyen d’un Iranien – le taux d’émigration reste très faible. Le bruit court que Maurice Motamed, alors représentant de la communauté juive au parlement islamique, connu pour ses positions antisionistes, aurait mis en garde ses compatriotes contre le risque d’être enrôlés dans les services de renseignement israéliens.

2009, à la suite de l’éviction frauduleuse du candidat Moussavi, des millions d’Iraniens protestent dans les rues et sont férocement réprimés. Ahmadinejad, l’alter ego du Guide Khamenei, est reconduit pour un second mandat alors que Netanyahou revient aux commandes d’Israël. « Bibi choisit Ahmadi, Khamenei obéit ! » se moquent avec leur humour noir les juifs iraniens !

Le soutien financier et logistique de l’Iran à ses proxys, Hezbollah libanais en tête, explose sous Ahmadinejad 2, le parfait épouvantail qui sert Netanyahou pour brandir la menace iranienne.

Entre 2010 et 2012, cinq scientifiques nucléaires iraniens sont assassinés. « L’Iran est en passe d’obtenir la bombe », répète en boucle Netanyahou. Nul ne le croit vraiment, y compris Benny Gantz, le chef d’état-major de l’armée israélienne, qui déclare publiquement que l’Iran n’a pas les moyens d’avoir la bombe.

2013, avec l’élection de Rohani à la tête de l’Iran et d’Obama à la Maison Blanche, une lueur d’espoir renaît en Iran. Le dossier du nucléaire iranien est sur la table pour un accord décisif avec les Occidentaux. Il est signé le 14 juillet 2015. Trump, poussé par Netanyahou, le déchire en 2017.

Début 2020, la guerre larvée israélo-iranienne repart de plus belle avec la participation active et directe des États-Unis de Trump : élimination de Qassem Soleymani (commandant de la force extérieure Qods des Pasdarans – les Gardiens de la Révolution) par l’armée américaine en Irak, assassinat de Mohsen Fakhrizad, vice-ministre de la défense et père du programme nucléaire iranien, par un robot israélien en novembre de la même année.

« La chute des modérés en Iran avec l’élection de Raissi en 2021, le retour en force des ultra-conservateurs sous son égide et la coalition de Netanhayou avec l’extrême droite en Israël ne pouvaient se terminer autrement que par une catastrophe annoncée. En Iran, en Israël et par extension dans toute la région ».

Notre compatriote conclue : « Les Iraniens sont horrifiés par le pogrom du 7 octobre. Juifs, musulmans, chrétiens, zoroastriens et minorités ethniques, nous vivons, depuis des décennies, la barbarie islamiste dans notre chair !

C’est justement pour cela que nous sommes tout aussi horrifiés par la dévastation de Gaza. Netanyahou comme Khamenei n’hésiteraient pas à sacrifier leur propre peuple pour rester au pouvoir. L’un comme l’autre a soutenu le Hamas précisément dans l’espoir d’un irréversible.

Netanyahou ose reprocher aux familles des otages israéliens d’être un obstacle sur la voie de la victoire totale et Khamenei continue d’emprisonner ou éliminer écologistes, pacifistes et tous ceux qui, comme le professeur Sadegh Zibakalam, sont soucieux des intérêts du peuple iranien. Tous des agitateurs, des traîtres, des suppôts d’Israël ! »

Précisons que cet universitaire, très critique envers la politique étrangère de la République Islamique, aurait franchi la ligne rouge en condamnant haut et fort le mantra khomeyniste de « la destruction d’Israël ».

« D’évidence les ayatollahs ne représentent pas notre peuple d’Iran. D’évidence l’État d’Israël n’est pas le porte-parole de tous les juifs d’Israël et encore moins des Juifs à travers le monde ! ». Notre interlocuteur déclare souffrir autant pour les otages israéliens que pour les civils palestiniens, particulièrement les enfants.

Il est de ceux qui affirment : « Ne tuez pas en mon nom ! La paix maintenant ! Reconnaissance immédiate d’un état palestinien ! ». À l’instar d’autres Juifs dont d’éminents professeurs et philosophes, il refuse que sa judéité et l’holocauste soient récupérés et détournés pour des calculs politiciens.

« Pour le monde, seuls les ayatollahs et leurs bras armés sont considérés comme des parias. Mais, comme le prédit Chuck Shumer (le respecté chef de file des démocrates au Sénat américain, de confession juive), si jamais Israël se transforme en paria, ce sont tous les Juifs qui en paieront le prix. L’hydre de l’antisémitisme est de retour.

Pour l’heure, nous nous sentons plus protégés en Iran qu’ailleurs. Paradoxe ? Pas vraiment. Avant la révolution, la monarchie Pahlavi était le grand ami d’Israël et le peuple plutôt antisémite. À présent le pouvoir tyrannique est antisémite, contrairement à la société civile solidaire car c’est notre seule chance de combattre l’ennemi commun qu’est l’islamisme – et non l’islam ! C’est pourquoi en Iran nous ne confondons pas judaïsme, religion millénaire, et sionisme, mouvement politique moderne et récent.

Pour moi l’antisionisme n’est pas de l’antisémitisme, de même que le rejet de Netanyahou et de son gouvernement extrémiste ne signifie pas la haine ou le rejet d’Israël. C’est en tant que Juif pratiquant que je le dis, tout comme mon meilleur ami, Chiite pratiquant, qui combat les ayatollahs pour sauver sa foi musulmane ! »

Et pour terminer, notre interlocuteur s’interroge sur la double élection iranienne et française de la fin juin. « Ici, nous n’osons plus espérer une bonne surprise. Je suis d’autant plus triste à l’idée de la très mauvaise surprise que serait l’arrivée au pouvoir du Rassemblement National en France. Entendre Serge Klarsfeld, que j’admirais, affirmer qu’entre la gauche et le RN, il votera RN…

Je voudrais pouvoir lui rappeler qu’au fameux colloque de 2006 à Téhéran, un certain Georges Theil affirma que l’holocauste était un énorme mensonge. Les juifs étaient persécutés, déportés, c’est bien vrai, mais il n’y avait pas eu de meurtre industriel, pas de chambres à gaz ! Ce monsieur, condamné à plusieurs reprises pour négationnisme, était un conseiller régional du Front National ! Nous les Juifs, n’avons aujourd’hui, moins que quiconque, le droit à la mémoire courte ! »

Note : Ce témoignage nous est parvenu avant les élections présidentielles en Iran. La communauté juive d’Iran, une des plus importantes au Moyen-Orient, compte selon diverses estimations entre 30 à 50 mille âmes.

Fariba Hachtroudi

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