À l’initiative de la mairie de Téhéran, des étudiants en art ont investi la capitale – avant, pendant et après les fêtes de Nowrouz (le nouvel an iranien, 21 mars) -, pour la parer des couleurs du printemps. Le matériel : seaux de peintures, pinceaux et bâches offerts par la municipalité. Des dizaines de jeunes bénévoles étaient dans les rues dès la mi-février, peu avant l’annonce officielle de la propagation de la pandémie en Iran. L’ambiance était festive, insouciante. Musique, live ou en podcast, diffusée via les smartphones, garçons et filles, ré enchantaient la ville en recouvrant les murs lépreux des bâtiments publics de couleurs vives : un kaléidoscope de fleurs et de faunes, d’animaux et d’humains. Durant les pauses, les passants, qu’ils fussent admiratifs ou dubitatifs, avaient droit à un verre de thé, les enfants aux sucreries et un petit dessin, cadeau de nouvel an.
Mais, hélas, en Iran aussi la vie fut rattrapée par la mort subite et le nombre des victimes du Covid-19 explosa en quelques jours dès le début du mois de mars. Aussi, Peu avant le nouvel an les autorités ont interdit les rassemblements de rue. Les peintres en herbe n’ont pas pour autant déserté la ville… Inconscience, prise de risque inconsidérée pour eux-mêmes et pour les autres ? Non, ils ne seraient ni suicidaires, ni irresponsables. Leurs proches leur sont chers et ils ont, précisément, le souci de la population en cette fin d’année calamiteuse où le pays a connu des catastrophes en chaîne. « Le nouvel an et les mois à venir seront plus lugubres encore. Et nous espérons remonter le moral de la population grâce à nos pinceaux, quitte à continuer notre mission en solitaire et non plus en groupe », nous a dit Arezou, étudiante de beaux-arts à l’université de Téhéran et Arezou – vœu en persan – de m’assurer que « tout irait bien ».
Arezou et Pari – fée en persan – sont postées devant un œuf géant. Les couleurs de l’Iran, couleurs de l’espoir et de renouveau, (blanc, vert, rouge) sont à l’honneur. Les jeunes femmes qui portent des gants mais pas de masque, se tiennent à un mètre de distance. Mon inquiétude persiste. Je le leur dis. Elles me sourient. « On raconte tout et son contraire sur ce virus. Prendre des précautions – ce que nous faisons – sans avoir à l’esprit que corps et mental sont inséparables et que tous les individus de la planète sont connectés, ne servira à rien. Ce virus est un message de nos ancêtres. Il nous rappelle la sagesse d’Avicenne et la mise en garde de Saadi. » Et Arezou de réciter les vers de ce dernier.
Les enfants d’Adam font partie d’un corps
Ils sont créés tous d’une même essence
Si une peine arrive à un membre du corps
Les autres aussi, perdent leur aisance
Si, pour la peine des autres, tu n’as pas de souffrance
Tu ne mériteras pas d’être dans ce corps.
Saadi, Mashid Moshiri
Dictionnaire des poètes renommés persans : À partir de l’apparition du persan dari jusqu’à nos jours. Téhéran, Aryan-Tarjoman, 2007
Oui, Universalité et non mondialisation… Solidarité et non individualisme…
Nous sommes à l’aube du 13 avril. Après une semaine de pluie continue le soleil est au rendez-vous. J’arpente l’artère principale de la ville. Un jeune couple me dépasse. La femme qui se tient à bonne distance de son mari, lui dit joyeusement, « regarde comme ils sont beaux ces œufs de pâques. Cela me rappelle notre voyage de l’an passé à Erevan ! » En espérant qu’Arezou, Pari et tous leurs camarades soient sains et saufs je souhaite bonnes Pâques aux compatriotes d’origine arménienne et respire à pleins poumons le printemps que mon masque n’effarouche pas.
Mais les œufs de Pâques de Téhéran comme les espoirs de cette magnifique et généreuse jeunesse ne sauraient nous faire oublier que d’ici une heure le trafic reprend, que métro et bus seront pris d’assaut par des milliers de personnes obligées de travailler pour survivre.
Les œufs de Pâques, côté jardin de Téhéran, ne pourraient me faire oublier les drames qui se déroulent dans les no man’s land iraniens, dans les gourbis en bordures des villes, dans les provinces délaissées comme dans les centres de détention surchargés et surchauffés où parmi les centaines de prisonniers libérés sous caution seuls une petite poignée de prisonniers politiques ont été relâchés à ce jour.